mercredi 18 janvier 2012

A propos du wargame dans l'armée de terre

Pour répondre à un commentaire sur le billet précédent, le wargame dans l’armée n’est pas handicapé par son origine allemande (cela supposerait un minimum de culture historique) mais parce que son caractère ludique et son faible coût ne le rendent pas sérieux. Une petite anecdote pour illustrer cela. En 2001, alors que j’étais capitaine au bureau opération du 2e Régiment d’infanterie de marine, j’ai conçu un système de simulation pour l’entraînement tactique des cadres du régiment. J’avais fait acheter des cartes d’Advanced squad leader (les initiés comprendront), fait réaliser des petits pions en carton pour représenter les cellules tactiques du régiment (dont les cadres) et conçu une règle de jeu très simple. Réunis dans une salle, les chefs de section « jouaient » leur mission face à un adversaire et communiquaient par radio avec leur capitaine. Pendant une demi-journée, les chefs de section et un commandant de compagnie pouvaient ainsi simuler une mission d’unité.
Tout cela fonctionnait bien, ne coutait quasiment rien (300 euros pour le 2e RIMa) et pouvait être utilisé n’importe où, en camp de manœuvre, en OPEX, sur un BPC, etc. J’ai donc eu l’idée folle de vouloir en faire un vrai wargame professionnel, en boite avec de jolis pions, et d’en faire profiter toute l’armée de terre. J’ai présenté mon projet à la mission innovation de la DGA qui m’a octroyé 30 000 francs pour le développer (trois fois ce que j’avais demandé, juste pour faire plus sérieux) avec comme seule condition, obligatoire, d’avoir l’accord de la Section technique de l’armée de terre. Un mois, plus tard, je recevais une lettre de la STAT expliquant qu’elle ne voyait pas l’intérêt d’un tel produit, les outils de simulation informatique étant bien suffisants. Le projet a été enterré.
Quelques années plus tard, alors au CDEF, j’ai relancé le projet, avec l’appui du général Desportes, alors directeur du CDEF, et le feu vert de la division de simulation opérationnelle (qui gère les systèmes de simulation informatique). La mission innovation a renouvellé son accord et demandé à nouveau son avis à la STAT. Celle-ci a répondu au bout de trois mois en exigeant d'abord un avis de l’Ecole d’infanterie. Je suis donc allé à Montpellier où j’ai réalisé un exercice en parallèle d’un même exercice joué sur Janus. Mon système soutenait largement la comparaison avec Janus, à ce détail près qu’il coûtait mille fois moins cher (compte tenu de l’infra, des spécialistes, etc.). Le compte-rendu (très positif) de l’Ecole d’infanterie est arrivé à la STAT qui a enfin donné son accord…au moment où j’étais affecté au cabinet du CEMA et où je n'ai plus eu le temps de m'en occuper.
J’ai retenu de cette expérience la difficulté de mener un projet à terme dans l’armée de Terre lorsqu’on conjugue l’inertie bureaucratique et le turn over du personnel, surtout pour un homme seul face à des institutions qui conçoivent les nouveautés comme des agressions.   

17 commentaires:

  1. Il existe pourtant bel et bien un club d'ASL à l'Ecole Militaire. Nous passons d'ailleurs devant votre bureau pour gagner la salle dans laquelle nous poussons du pion mensuellement ! :)

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  2. Pour rappel, Louis XIV, dans sa tendre jeunesse, s'entraînait avec des figurines pour simuler les batailles et on l'instruisait ainsi sur les choses de la guerre... Et ce ne fut pas la période la moins glorieuse de notre histoire militaire.

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  3. On surprenait aussi Napoléon en train de jouer avec des figurines sur le sol de son bureau...On peut rappeler aussi la phrase de Nimitz : "Tout ce qui est arrivé pendant la guerre du Pacifique, à l'exception de la bombe atomique et des kamikazes, avait déjà été joué et rejoué avec des figurines à Newport".

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  4. Si je peux également ajouté un autre enseignement à celui que vous avez déjà retenu, mon colonel; pour qu'une idée soit jugée bonne et qu'elle aboutisse à une réalisation concrète, il faut surtout avoir préalablement démontré la valeur de son intelligence par sa réussite aux différents concours du 2ème degré.
    Car même si ce genre d'idée se retrouve au niveau régimentaire, c'est malheureusement un parcours du combattant bureaucratique que les cadres de contact peuvent très difficilement franchir même s'ils ont le soutien de leur chef de corps au regard du poids décisionnel des organes de l'administration central (STAT, DGA ou autre...)

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  5. Je omprends parfaitement la situation de ce brave capitaine. Je moi aussi officier mais à l'Armée belge et également grand fan de ASL. Lorsque, dans mon entourage militaire j'en parle, ce ne sont que sourires en coin. C'est vrai quoi, un "truc" aussi bon marché ne peut pas être meilleur qu'un programme de simulation qui coûte des cents et des milles....

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  6. L'aspect attendre 4 mois pour finir par s'en remettre à l'avis d'une entité différente est vraiment symptomatique de ce qu'est une administration !

    Sinon, merci de soulever un peu la couverture: je m'interrogeais en effet sur l'utilisation de kriegsspiel dans les états-majors.
    Par votre post, on apprend que le concept parait dépassé, et qu'il existe des outils modernes (dont on apprend, incidemment, le prix).

    je suis enfin assez surpris de ce que le wargame soit vu chez les "pros" avec un certain mépris (sauf, apparemment, par les membres du club , mais il semblerait qu'il s'agisse plutôt d'un loisir)

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  7. Rhaaaa, qu'il est rageant, votre article, lorsqu'on se met à votre place! C'est tellement dommage d'apprendre qu'un projet si intéressant puisse être enterré sans état d'âme... N'avez-vous pas pu déléguer sa réalisation à votre remplaçant?

    En espérant qu'il arrive un jour à terme!

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  8. Aujourd'hui, dans l'armée, on ne jure que par la simulation informatique qui doit nous faire économpiser l'argent qu'on n'a pas pour aller sur le terrain. Sauf que tous ces systèmes informatiques sont lourds à mettre en oeuvre (il faut des spécialistes, qui n'appartiennent pas aux unités qui ont besoin de l'entraînement). Résultat, ils sont sous-employés.
    Encore pire, en école de formation des officiers, on ne les utilise pas à cause du temps nécessaire pour leur mise en oeuvre et par peur que les élèves-officiers soient trop absorbés par l'aspect ludique

    Mais si vous sortez une carte avec des hexagones (et encore pire, des dés...) pour simuler des combats, on vous prend pour un adolescent attardé qui n'est pas sorti de Warhammer (sorte de wargame de science-fiction).

    L'exemple du budget gonflé par la DGA est l'exemple même qu'une solution qui ne serait pas au top de la technologie et qui ne couterait pas cher ne serait pas une bonne idée

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  9. Pour ma part je trouve que votre parcours démontre toute la suffisance d'un système qui croit que la technologie est la solution à tout et les outils les plus simple ne sont pas adaptés au monde moderne. Pourtant on utilise toujours un couteau. Mais il est vrai que ça doit être frustrant de voir un jeu 300 euros concurrencer un système à plusieurs millions.
    On oublie souvent une chose, on apprend rien devant un écran...

    Sinon il existe un superbe wargame 2eme GM : Heart of Iron le plus intéressant est qu'il est modifiable. Nous pouvons aisément passer de la 2 eme GM à des conflits contemporains en modifiant les variables qui sont éditable avec un Excel et le Bloc-note.

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  10. Au vu des commentaires précédents je me permets de glisser mon petit avis de wargamer.
    Il ne faudrait peut etre pas exagerer, jamais un wargame papier ne concurrencera les systemes informatiques de simulation du Mindef. Idem pour les wargames info commerciaux ( Heart of Iron, Operational art of war,etc, etc).
    Ils ne font tout simplement pas la même chose et n'ont pas les mêmes objectifs.
    Par contre je suis intimement convaincu qu'ils peuvent etre complementaires.
    Les wargames tactique pouvant être utilisés pour permettre aux chefs de pelotons et sous officiers, des le début de leurs formation, l'intérêt de tel ou tel drill. Et peut leur faciliter l'assimilation des principes tactiques de base.
    Les wargames operationnels sont surement utilisable aux echellons hierarchiques superieurs pour se faire une idée des difficultés d'une operation donnée sous reserve de pouvoir correctement qualifier les forces ennemies.
    Quand aux wargames strategiques... Je ne crois pas qu'ils puissent servir à quoi que ce soit aujourd'hui si ce n'est à illustrer certains cours géopolitiques...

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  11. Bonjour

    J'avais un moment été pressenti pour illustrer les pions de ce projet. Je comprends maintenant un peu mieux ce qu'il s'est passé. Dommage, j'aurais vraiment aimé le faire... et y joué!

    A l'époque j'étais encore sous officier de réserve, je suis certain que cet outil aurait passionné mon chef de section.

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  12. Bonjour,
    J'ai eu la chance d'etre ce capitaine en liaison avec ses chefs de section au 2RIMa. Aujourd'hui plus qu'hier ce wargame aurait toute sa place puisque nos unités n'ont plus les moyens matériels de s'entrainer alors efforçons nous de les entrainer à moindre cout "intellectuellement et tactiquement". Pour une compagnie ça monopolosait les chefs de sections et le CDU ,une journée. Idéal quand l'unité est de service. Merci Michel, c'est un bon souvenir. le dragon de 98!!

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  13. Trouvé par hasard sur le net, un wargame informatique sortant des sentiers battus. Il traite, au niveau tactique, des engagements du 1er Empire, et propose au joueur d'être un véritable chef d'armée élaborant son plan de bataille ensuite envoyé à la hiérarchie (Chefs de Corps ou de Colonne).
    Le niveau de FoW est modulable grâce aux diverses options.
    La modélisation est assez réaliste (le moral joue un rôle crucial). Il se joue en solo, mais aussi par email ou encore en réseau. Dans ce cas, un système de calques pour l'envoi des ordres entre les joueurs d'un même camp simule bien les inerties de commandement.

    Produit par un développeur français, il est auto-édité. Vraiment intéressant car permet une assez bonne immersion en 3D temps continue (compression de temps variable entre 1/1 et 10/1)

    C'est ici : www.histwar.fr

    Bien sûr, bien loin de simuler les conflits actuels mais permet de bien illustrer toutefois les difficultés du commandement et les incertitudes induit par le brouillard de guerre et les frictions.

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  14. Mon Colonel,devant l'enthousiasme des commentaires,et comme il doit bien rester des traces de ce travail.Peut-etre est il possible d'en publier les règles sur ce forum.Qui veut l'utiliser, l'adapter, ou le finir pourrait ainsi partir d'une base.Si l'on veut s'entrainer avec qui peut nous en empecher?

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  15. Franck Parot-Abellard29 janvier 2012 à 22:46

    Bonsoir Michel,

    Ça me fait un drôle d'effet de te lire sur ce sujet. Un sacré bond dans notre jeunesse... Peut-être te souviens-tu de notre épopée dans le "Journal du Stratège". Je dois encore avoir quelques articles, peut-être non publiés, de toi. Tu avais été tenté aussi par le paintball, pour utilisation en manœuvres dans ton régiment.
    Je te suis depuis longtemps, sur internet, à la télévision, je te lis aussi...

    Amitiés

    Franck Parot-Abellard

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  16. Je me souviens lors de mon passage au SHAT comme appelé en 98-99 qu'il existait un club animé par un chef de bataillon du service études. Mais ça ne devait pas dépasser le cadre d'un loisir toléré suscitant au mieux la curiosité au pis le mépris goguenard.
    Merci en tout cas de ce témoignage qui illustre malheureusement une tare culturelle bien de chez nous dépassant de loin le seul cadre militaire; la rigidité intellectuelle érigée en vertu. Alors si en plus ça ne coute rien...

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  17. Je crois me souvenir que nous avions parlé d'un war game portant sur la DOT et la re-prise de contrôle de la ville de Cayenne... Dommage que cela n'ait pas abouti car cela aurait été utile pour les exercices cadres du BOI et c'est là quelque chose auquel je crois beaucoup ;) En tous cas bravo pour votre parcours et votre travail...

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