dimanche 28 septembre 2014

L’éthique du soldat français-Un livre du général Benoît Royal

Le soldat en opération, et en particulier au combat, est un être plongé dans l’incertitude par l’action contradictoire de l’ennemi et la présence d’un environnement humain souvent complexe. Il est aussi porteur de mort. Un simple fantassin porte sur lui de quoi tuer des centaines de personnes, un pilote d’hélicoptère peut faire encore plus de ravages. Qu’un seul se trompe et la force légitime devient massacre ou même ignominie engageant la réussite de la mission et même l’honneur de la France. Ajoutons que ce soldat doit aussi souvent prendre ses décisions dans l’urgence et sous une très forte pression psychologique et on comprendra toute la difficulté qu’il a y bien souvent à décider de la vie et de la mort, comme un juge qui n’aurait que quelques minutes et qui exécuterait lui-même la sentence.

Le premier mérite de L’éthique du soldat français du général Benoit Royal, est de montrer que l’éthique n’est pas un luxe philosophique, une simple spéculation intellectuelle, mais un cadre indispensable pour l’action. Le second est de le faire de manière pragmatique, empirique même, en partant de nombreux cas concrets qui sont autant de dilemmes pour en dégager des lignes de conduite, loin de tout discours moralisateur ou trop conceptuel. Paru en 2008, il en est aujourd’hui à sa troisième édition très enrichie par de nouveaux témoignages, dont un chapitre entier consacré aux pilotes d’hélicoptères de l’opération Harmattan, et une comparaison très éclairante avec les cultures militaires américaine, britannique et russe. La guerre d’Algérie y est également abordée, le livre est d’ailleurs préfacé par Hélie de Saint-Marc.

Cet ouvrage est indispensable pour tous ceux qui ont l’ambition de porter les armes au service de la France. Indispensable aussi pour tous ceux qui, par leurs décisions politiques, risquent de placer les soldats dans des situations difficiles. Indispensable pour tous ceux qui veulent comprendre ce qu’être soldat français aujourd’hui veut dire.

J’ajouterai enfin qu’il rend encore plus fier de nos soldats.  

10 commentaires:

  1. « L’éthique n’est pas un luxe philosophique ».
    Voir à ce propos l’impressionnant témoignage du reporter de guerre Rémy Ourdan, sur la première phase de la guerre terrestre d’Irak en 2003 (Arte – Mémoire de l’oubli – La prise de Bagdad). L’homme, bien que civil, a l’expérience de nombreux théâtres de conflits. Il connaît les visages de la guerre et en 2004, la mort s’est intéressée de très près à son cas, lorsqu’il fut enlevé ainsi que son fixeur, dans la région de Falloujah. Ses ravisseurs masqués, probablement d’ex-bassistes de l’armée irakienne, s’entretenaient au téléphone pour savoir s’ils devaient l’exécuter, pendant qu’il attendait, les mains liées dans le dos et à genoux quelque part dans le désert irakien. Lorsque Rémy Ourdan parle de la guerre, il mérite donc qu’on l’écoute attentivement.
    Il raconte la ‘course à Bagdad’ de deux régiments de Marines. Le premier est commandé par un colonel (appelons-le le colonel A, même si les vrais noms sont cités dans le reportage), qui pense comme le Haut-Commandement allemand d’août 14 (ou William Sherman pour rester dans la culture guerrière américaine), que le fait de se montrer impitoyable et d’une extrême brutalité est un mal pour un bien. Puisqu’en définitif, sidérées par le choc, les armées et populations ennemies abandonnent plus rapidement le combat et qu’au final, il y a donc moins de morts. Cela se traduit par un régiment de marines agissant sur le modèle de la colonne infernale : tout ce qui bouge, piétons ou véhicules est considéré comme une cible légitime ! Rémy Ourdan donne trois exemples d’exactions : un vieillard claudiquant sur sa canne, abattu alors qu’il traversait la rue, une famille irakienne dans son van, découpée au Mk44 Bushmaster ainsi qu’une jeune femme et son bébé, tués par un lance-grenades dans l’abri de fortune où elle s’était refugiée.


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  2. Le second régiment, commandé par le colonel B, se retrouve lui bloqué au milieu d’un carrefour, par une manifestation spontanée de civil privés d’eau et d’électricité. Ses jeunes marines ne sont ni formés ni équipés pour faire du maintien de l’ordre, et à la première pierre qui vole ou au premier coup de feu, la situation risque de déraper dans les grandes largeurs… Démentant la réputation de cécité culturelle de l’armée américaine, le colonel B donne alors trois ordres à ses hommes : genoux à terre, canons vers le sol, souriez ! Et le régiment de pouvoir reprendre sa progression vers l’objectif qui lui avait été assigné…
    Les faits sont impitoyables : le colonel A est en échec sur toute la ligne. Techniquement, c’est bien sûr un criminel de guerre (qui savait pertinemment que les USA, mais pas qu’eux, ne sont pas signataires du TPI). Il a déshonoré son régiment, le Corps et par extension son pays et les valeurs qu’il était venu défendre. Outre le fait qu’il est un salaud, son attitude s’est surtout révélée extraordinairement contre-productive pour l’atteinte des buts de guerre. Simple pion tactique, il a par son attitude contribué dès le départ, à transformer une armée de libération en armée d’occupation, sans même passer par la case ‘golden hour’. Bien qu’il ne soit ni le seul, ni parmi les principaux responsables, il peut en se regardant dans la glace, se dire qu’il a une vraie part de responsabilité dans le chaos qui perdure (et s’amplifie) 11 ans plus tard. Sans même parler des traumatismes pour les hommes qu’il commandait. Comment régira le tireur au Mk44 à ses souvenirs de guerre, lorsque devenu lui-même père de famille, il conduira femme et enfants dans le van familial ? Et c’est une litote de dire que l’armée américaine n’est pas particulièrement performante dans le suivi psychologique des anciens combattants…
    Le colonel B et ses hommes ont également atteint l’objectif assigné. Ils se sont battus et ont tués des ennemis armés. Mais en agissant en soldats et non en assassins en uniforme. Ils furent probablement moins atteints que d’autres par les PTSD, mais surtout ils laissèrent une chance à l’avenir, à la reconstruction de l’Irak. On sait malheureusement ce qu’il en advint, mais en tout cas, ces hommes n’ont rien à se reprocher.
    Avoir une éthique n’est certainement pas un luxe, c’est même une dimension indispensable à l’atteinte, si ce n’est des objectifs tactico-tactiques, du moins des buts de guerre.
    La principale différence entre le soldat et un technicien ?


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    1. Merci de ce témoignage très illustratif de ce que l'éthique au combat est autant une affaire d'homme et d'éducation des consciences, que de doctrine et de stratégie enseignés dans les armées.

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    2. Dans l'armée Française de 2014, celle que je connais, le l'abattage de maman/bébé n'est pas un problème d'éthique, et je doute, personnellement, que l'armée américaine encourage le tir sur vieillard, avec ou sans canne.

      Nulle part aujourd'hui, les règles d'engagement ne permettent d'ouvrir le feu "dans le doute". Ou tire sur une cible identifiée, sur une menace, pas nécessairement avérée, mais dans le cadre de règles parfaitement définie. Le cas de l'usage des "warning shots" en Afghanistan, est éloquent: procédure utilisée notamment par les convois logistiques, elle faisait l'objet de directives extrêmement strictes et claires, d'une gestuelle prescrite et détaillée, d'une formation répétée des personnels, et de compte rendus détaillés à chaque occurrence (dans une opération sous commandement américain, pour mémoire).

      Il existe sans doute une marge d'initiative plus large pour les opérations spéciales, clandestines ou que sais-je, mais pour le soldat "classique", (français ou non), l'assassinat ne pose pas une question d'éthique, c'est juste un interdit.

      Les questions d'éthique se posent, je pense en termes plus fins, et pas uniquement vis à vis des populations civiles. Quelle part de risque est acceptable pour mes hommes, vaut il mieux en exposer peu à un risque élevé, ou plus à un risque moindre, le choix entre "intensité" du risque et fréquence d'exposition à la situation dangereuse, dire tout ou partie de la vérité ? Comment parler à ses hommes de la mort d'un camarade ?

      Je ne dis pas que les autres questions, celles qui se "vendent" bien, n'existent pas. Dans l'armée d'aujourd'hui, elles reposent cependant essentiellement sur des officiers de haut rang, seule une distance à l'action permettant de faire la part entre l'efficacité opérationnelle, l'éthique, et la "communication".

      De cet équilibre décidé à haut niveau découle un cadre juridique extrêmement détaillé, qui laisse peu de place à une éthique individuelle. A ce stade, je doute que la lecture du "guide à l'usage des cadre de contact" ou du "FT-01" soit propre à apporter une réponse à celui qui serait pris par un doute métaphysique en plein combat.

      Je ne nie pas l'importance de l'éthique, ni l'importance de cadres formés à la réflexion. Je me permet simplement de rappeler que la place faite à "l'éthique individuelle" est limité dans le contexte d'un engagement opérationnel.

      Je pense d'ailleurs que cela est nécessaire:
      d'une part, parce qu'au cœur de l'action, le "pion" dispose souvent de trop peu de temps et d'information pour prendre une décision en prenant en compte une éthique forcément complexe et contrastée, en plus d'une situation tactique en rapide évolution.
      d'autre part l'armée étant le reflet de la société qu'elle sert et dont sont issus les hommes qui la compose, elle n'échappe pas à la "moraline", qui confond souvent le juste avec le faible, la raison avec l'émotion, l'intention avec l'effet.

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    3. Pas sûr que l’on puisse comparer le théâtre afghan avec la toute première phase de la guerre d’Irak en 2003. Pour le reste, il peut exister dans le métier des armes comme dans les autres professions, disons certaines nuances entre le travail prescrit et le travail réel. Nuances qui dans d’autres cultures militaires que la notre, peuvent s’avérer assez marquées.
      Mais il est vrai que les médias ont eu tendance à exagérer à propos de la Tchétchénie ou d’Abou-Ghraib.

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  3. Ce livre a le mérite d'exister et je comprends mieux que nos autorités politiques n'envoient pas de troupe au sol en Irak...contre les guerriers d'un chamelier illettré...

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  4. Pratiquer l'éthique avec son stylo sous la lampe de son bureau dans un état major parisien c'est simple et sans risque, mais pratiquer l'éthique quand on est seul face à des monstres ca devient franchement plus compliqué. Dans ce cas l'éthique se résume à des actes réflexes qui sont ceux du droit de la guerre (respect du non combattant, respect du prisonnier, respect du bléssé etc). L'éthique c'est un peu comme un luxe, un bonus que l'on met en oeuvre si on en a le temps, et les moyens.
    Pour le combattant au contact il vaut mieux connaitre les conventions de Genève et de La Haye que de s'embrumer l'esprit avec des réfléxions philosophiques. C'est un avis qui en vaut un autre..

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    1. C’est l’avis qu’exprime Elie Barnavi dans son dernier ouvrage (Dix thèses sur la guerre – Flammarion), sa septième thèse prescrivant qu’il vaut mieux invoquer le droit que la morale. Si ce n’est deux failles, je vois deux manques à ce raisonnement.
      Le premier étant que le droit est un outil à géométrie variable, s’appliquant préférentiellement aux petits pays. Les États-Unis en Irak ou infiniment pire encore, la Russie en Tchétchénie, se sont rendus coupables d’exactions vis-à-vis des populations civiles. Les chances pour qu’un responsable militaire (et civil !) soit traduit pour ces faits devant la justice sont, comment dire ?...inexistantes ?
      Le second manque tient à la nature humaine et à ses faiblesses. Sous fort facteur de stress, en danger de mort imminente, je ne suis pas certain qu’un combattant pense spontanément à l’arsenal juridique pour limiter ses actions. Ça sera certainement le cas (en tout cas il faut l’espérer) pour le commandement, mais pas pour le combattant au contact, qui doit prendre en une fraction de seconde une décision de vie et de mort, pour lui, ses camarades et pour ceux qui sont en face. L’exemple cité par BT est typique de l’impuissance de la raison face à certaines situations. Que faire face à un enfant armé (et probablement drogué) qui vous engage ? Et on peut multiplier les exemples, les armées faisant de moins en moins ‘campagne’ et opérant de plus en plus en ville au milieu des populations civiles. Dans ce type de combat imbriqué, c’est bien sur le pion tactique élémentaire, sur le soldat que tout repose. Alors dans un monde connecté ou la moindre ‘bavure’ peut se retrouver en quelques heures (ou minutes) sur les réseaux sociaux, l’éthique du combattant me semble être la dernière sécurité. La seule qui puisse encore fonctionner lorsque vous êtes dans la ‘zone de mort’ pour reprendre les termes du colonel Goya. Lorsque vous passez en mode automatique parce que le monde extérieur est devenu trop chaotique.
      Survivre aux combats est une chose, mais il faut ensuite pouvoir survivre à ‘l’après’, sans être dévoré par des démons intérieurs qui gâcheront votre vie et celle de votre entourage. Le fait de savoir que vous aviez le droit de la guerre avec vous en abattant l’enfant-soldat de l’exemple cité, ne vous aidera pas beaucoup, une éthique personnelle peut-être un peu plus. Peut-être…

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    2. sauf que l'éthique, ça se travaille tous les jours, au quotidien, au quartier ou sur le terrain, en formation initiale ou en préparant la prochaine OPEX. C'est comme ça que le respect l' éthique devient un acte réflexe.

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  5. "quand on est seul face à des monstres " : très juste remarque, car tout ce qui est dit dans l'ouvrage du général Royal est bel et bon, mais sur le terrain quand on a affaire à des gens qui utilisent des civils plus ou moins contraints et forcés comme boucliers humains ! Ce ne sont pas les exemples qui manquent : Somalie, Afghanistan, Congo...Quand en face de vous vous avez un enfant soldat endoctriné, drogué : on tire ou pas ?

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